- Catégorie : Discours Dr. Alireza Nurbakhsh
- Écrit par Alireza Nurbakhsh
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Silence, le souffle est précieux
Cette phrase est inscrite dans une belle calligraphie persane à l'entrée de la khanegah de Téhéran. Je l'ai remarqué pour la première fois lorsque j'étais encore un enfant : sokout dam ghanimat ast, silence !le souffle est précieux. J'arrivais juste à retenir le mot « sokout » (silence), mais chaque fois que je regardais cette inscription, elle frappait mon attention.
Silence, le souffle est précieux ! est un commandement, une injonction à l'observation du silence, suivi d'une explication de la raison pour laquelle le silence est important. Si nous n'atteignons pas l'état du silence, notre vie si précieuse symbolisée par le souffle est perdue. Dans le même temps, l'explication met en lumière la méthode par laquelle nous pouvons réaliser le silence : en portant notre attention sur le souffle.
Le silence fait partie de la pratique de la plupart des disciplines spirituelles. Le silence ne signifie pas seulement s'abstenir de parler mais aussi se libérer de l'incessant dialogue interne et du bavardage mental que nous vivons au quotidien. Cette forme de son, le bruit intérieur est de loin le plus difficile à gérer et requiert notre attention constante.
Le dialogue intérieur est un obstacle à notre progrès spirituel. Il nous « endort » et nous fait oublier le monde et notre entourage sans parler du sentiment du divin.
La rêverie est une bonne illustration de cette situation. Parfois après avoir conduit pendant un long moment, nous sommes surpris d'arriver à destination sans véritable souvenir de notre conduite ou des endroits que nous avons traversé. C'est comme si nous étions endormis et que nous nous réveillons brusquement à la fin du voyage. Durant tout le trajet nous n'avons pas observé ou n'étions pas connecté avec le monde d'une façon active ou réelle.
Parfois le dialogue interne se transforme en auto-complaisance proche de l'art de se faire plaisir. Par exemple, lorsque nous sentons que nous avons été trompés où maltraités par une autre personne, nous ressentons souvent de la colère, de la rancune ou même du désespoir. Nous revenons de façon répétitive sur le dialogue ou le fait qui nous a contrariés en « réécrivant » ce qui s'est réellement passé pour créer et trouver une issue qui nous met dans une meilleure posture et nous permet de mieux nous sentir. Ou, nous mettons en œuvre différentes stratégies pour le comportement à suivre la prochaine fois où nous rencontrerons la personne tout en inventant souvent des situations dans lesquelles nous avons le bon rôle et dans lesquelles le conflit est résolu d'une façon qui nous satisfait.
Bien que nous sachions que ces pensées sont pour la plupart des fantaisies qui nous soulagent au mieux de façon passagère, nous ne pouvons-nous empêcher de les ressasser encore et encore.
Cependant nous arrivons très rarement à résoudre notre conflit ou à évacuer notre colère par ce type de dialogue intérieur. Finalement le '' bruit mental'' nous quitte par exaspération. Il ne s'agit pas ici de nier l'importance de l'activité mentale dans nos vies. Dans la vie de tous les jours, nos esprits sont constamment occupés.
Penser planifier anticiper juger, décider, espérer etc...il va sans dire que nous avons besoin s'utiliser nos facultés mentales pour gérer le quotidien.
Mais lorsque le dialogue interne est focalisé sur l'égo nous perdons le contact avec le monde et nos semblables. Nous devenons obsédés par nous-même. Nous n'arrivons plus à voir véritablement les autres, à ressentir leurs émotions et à nous lier à eux.
Une personne qui est trop enfermé dans son esprit ne peut voir aucune réalité au-delà) de ses propres pensées et imaginations. Qu'il soit conscient ou inconscient, le dialogue intérieur ou bruit mental nous déconnecte du monde et des personnes qui nous entourent.
L'un des moyens de surmonter le bruit mental est de rechercher une vie de réclusion en pensant que nous pouvons mieux profiter d'une vie de silence intérieur en nous impliquant moins dans le monde et avec les gens .
Certes celui qui vit isolé et se consacre constamment à la méditation et à une prière ou un fermier qui vit dans un endroit reculé sans aucun contact avec les gens est plus susceptible de profiter d'un silence intérieure par rapport à ceux dont la vie exige qu'ils soient au contact de leurs semblables.
Mais il y a toujours un danger pour celui qui mène une vie d'ermite. Il risque de perdre son équilibre et le contrôle de soi lorsqu'il revient dans le monde et qu'à nouveau il est submergé par le bruit mental causé par la vie parmi les hommes.
Mieux, même si la vie de réclusion est une solution au problème du bruit intérieur, elle n'est pas en définitive un mode de vie qui permet de se réaliser pleinement.
Nous nous comprenons mieux, nous découvrons nos forces et faiblesses en tant qu'être humain seulement lorsque nous faisons l'effort de vivre en harmonie avec nos semblables et de traiter tout le monde avec tolérance et respect même s'ils ne pensent pas ou ne se comportent pas comme nous le pensons ou comme nous l'aurions souhaité.
La voie soufie exige de nous que nous renoncions intérieurement au monde en nous détournant du dialogue intérieur qui nous relie à lui, tout en assumant en même temps nos responsabilités en tant que personnes impliquées dans la vie sociale du monde.
Lorsque nous faisons attention au souffle, nous ne participons plus au dialogue intérieur. Nous avons l'impression que notre attention est attirée ailleurs et quitte totalement le lieu habituel de nos pensées ou association d'idées. Nous devenons alors comme un maitre tapissier qui est complètement absorbé par son tapis et concentré sur le travail qui est devant lui dans un silence total de son esprit.
Certes le bruit mental existe tant que nous vivons mais l'attention au souffle rend insignifiant le bruit et nous aide à nous délivrer de la préoccupation d'imaginations sur le passé ou le futur.
Nous devenons comme des spectateurs impartiaux qui ne participent plus au dialogue intérieur puisque notre attention est dirigée uniquement sur le souffle de l'instant présent.
Pour les soufis, le souffle est le moyen du rappel de Dieu car les soufis se souviennent de Dieu à travers leur souffle. Par cette pratique, toutes les pensées et désirs sont balayées et nous atteignons le silence intérieur. Le souvenir de Dieu met ainsi un terme à l'incessant bavardage de l'esprit. Lorsque l'esprit se tait, le cœur s'éveille. C'est alors que nous commençons à accepter et aimer les autres.
Il faut une longue pratique pour s'asseoir en silence et se concentrer sur le souffle et à travers le souffle sur le divin. Bien souvent notamment pour ceux qui sont novices en méditation, l'esprit erre vers le royaume des rêveries et l'attention au souffle se perd. L'on a besoin d'un rappel constant pour se concentrer sur le souffle et éviter de participer au dialogue intérieur.
Dans la tradition soufie, la musique joue le rôle du chien berger qui nous fait revenir dans le bon chemin, celui de l'instant présent et nous aide à nous concentrer encore et encore sur le souffle et le divin. A première vue, il peut sembler que l'écoute de la musique fait entrer plus de bruit dans nos esprits et que nous nous éloignons par conséquent de l'état de silence. Il est vrai que certaines musiques provoquent exactement cet effet et rendent difficile l'attention au souffle. Mais lorsqu'elle est efficace, la musique peut servir de guide en ramenant les voyageurs égarés dans le bon chemin, la voie du souffle.
La musique profane ou spirituelle a tendance à nous faire bouger. Nous pouvons ressentir différentes émotions en écoutant de la musique. Ces émotions dépendent d'une part des circonstances dans lesquelles nous avons entendu ladite musique pour la première fois et d'autre part de nos normes culturelles c'est-à-dire la manière dont nous avons appris à associer un certain type de musique à certaines émotions. Quel que soit la raison, il demeure que nous expérimentons différentes émotions lorsque nous écoutons de la musique.
La poésie soufie est une expression de l'amour humain envers le divin et lorsque cette poésie est mise en musique, elle peut créer en nous l'expérience de l'aspiration et de l'amour de Dieu ne serait-ce que pour un bref instant. La musique est là pour nous encourager sur la voie de l'amour. Dans ce sens la musique est aussi un moyen de rappeler que l'observation du silence et l'attention au souffle ne représentent que le début de la voie .Le but final est d'atteindre le divin par le moyen de l'amour.
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